Récit

Un artiste fragile au côté dandy : le peintre Leo Piron a (enfin) la place qui lui revient

2024

Il avait un style raffiné et une douce palette de couleurs, il peignait des vues panoramiques, des natures mortes mystérieuses et des paysages miniatures. L’artiste Leo Piron (1899-1962) a partagé avec Valerius De Saedeleer le même lieu de travail, les Ardennes flamandes, mais est longtemps resté dans l’ombre de son célèbre beau-père. Il était temps d’en sortir, ont estimé ses héritiers. Le Fonds Leo Piron, créé au sein de la Fondation Roi Baudouin quand une nièce de l’artiste a légué à la Fondation une quarantaine d’œuvres de Leo Piron, dévoile cet été un trésor artistique associé à une histoire singulière. Dans le parcours artistique “Vanuit de heuvels langs de Schelde” (« Depuis les collines le long de l’Escaut ») - à voir du 24 août au 1er septembre 2024 -, Etikhove, ancien village d’artistes hors norme, occupe une place centrale.

“La peinture était un processus plus fluide chez mon grand-père Leo Piron que chez mon arrière-grand-père Valerius De Saedeleer”, déclare Piet Piron, très admiratif des deux artistes. « Chez Valerius, peindre, c’était souvent tout un chantier. Quand il travaillait dans son atelier, les membres de sa famille devaient déguerpir. Les larges ciels qu’il peignait étaient pour lui une sacrée besogne. » Dans l’atelier de son grand-père Leo Piron, les choses se passaient de manière plus calme.

Et nous y voilà déjà : l’inévitable comparaison entre le talentueux artiste reclus Leo Piron et son beau-père plus bruyant et plus connu Valerius De Saedeleer. L'histoire de « leur » timide Piron reste à écrire. Telle est la mission de ses héritiers. Piet Piron est membre du comité de direction du Fonds Leo Piron, géré par la Fondation Roi Baudouin. « Enfin », s’exclament les connaisseurs qui depuis longtemps ont placé Leo Piron dans la galerie des artistes flamands notoires, enfin le peindre reçoit grâce à ce Fonds la place qui lui revient.

Leo Piron est né en 1899 à Marcinelle, dans une famille de boulangers qui avait quitté temporairement Alost pour s’installer dans le Hainaut. La fibre artistique était déjà dans ses gênes. Leo partageait avec son cousin Louis Paul Boon un grand-père excentrique en la personne de l’Alostois activiste avant la lettre Louis Verbesselt. Sur les photos, on peut voir une ressemblance physique entre Piron et Boon : le même regard curieux.

Leo Piron était un garçon sensible, voire fragile, à qui ses parents avaient permis de fréquenter l’académie des beaux-arts d’Alost. Son trait graphique et subtil s’est immédiatement distingué. Leo Piron deviendra plus tard professeur dans cette même académie. Au début des années 1920, Leo Piron arrive dans le village d’Etikhove (Ardennes flamandes), il avait entendu des histoires palpitantes sur le nombre d’artistes qui y résidaient. Le centre du village était la maison et la table familiale de l’artiste, et véritable phénomène, Valerius De Saedeleer.

Le reste appartient à l’histoire. Surtout à l’histoire orale. Car, même si aujourd’hui des inventaires sont activement établis sur l’œuvre de Leo Piron, si ses travaux sont numérisés et les informations collectées, une grande partie des connaissances sur cet artiste se base sur une transmission orale. L’ancien juge et petit-fils de Leo, Piet Piron a reçu beaucoup d’information directement de sa grand-mère. Et on remarque tout de suite que Piet est lui-même un fervent (ra)conteur.

Piet Piron: “Ma grand-mère m’a expliqué qu’elle avait eu une grande influence sur le style de papy. Je trouve sa première période en peinture particulièrement fascinante, moderniste d’une certaine manière, avec une dynamique étonnante et des compositions qui évoquent parfois Permeke. Ma grand-mère l’envoyait dans la nature et l’incitait à peindre des paysages. Très vite son œuvre a dégagé l’atmosphère enchanteresse des Ardennes flamandes, mais d’une façon différente de son beau-père. Leo Piron était plutôt un miniaturiste, il plaçait très minutieusement de mini-tableaux dans ses vastes paysages. »

Au niveau humain et social, la différence entre les deux peintres ne peut pas être plus grande. Valerius était un bon vivant. Physiquement déjà, large et bien portant, avec une barbe en pagaille, une trogne plus qu’un visage, un personnage comme ceux que l’on peut retrouver dans les toiles d’Adriaan Brouwer. Leo Piron avait lui une apparence raffinée et timide. Il était plutôt cérébral, bien qu’on perçoive aussi sur les photos un côté dandy, à la manière dont il s’appuyait avec nonchalance contre un arbre, une cigarette à la main, le regard d’un sage. Son petit-fils Piet Piron : « Papy Piron détestait pourtant le culte de la personnalité, il travaillait comme un moine, enfermé dans son atelier, son art était central. Ma grand-mère trouvait que son mari peignait mieux que son père. ‘Il avait ça plus dans les mains, il devait faire moins d’efforts, c’était un don‘, c’est ce qu’elle disait, littéralement. »

Leo Piron est aussi parti un certain temps, au Luxembourg, à Paris, en Bretagne. « Partait-il pour se retrouver lui-même, pour chercher sa propre voie, nous l’ignorons », explique Piet Piron. « Parce que le fait qu’il n’était pas simple de travailler et de vivre dans l’ombre de Valerius De Saedeleer est sans doute un euphémisme. Mais il s’est aussi passé quelque chose de remarquable. A un certain moment -je dois encore chercher exactement quand-, Leo et Valerius ont tous les deux été invités à la Biennale de Venise. Et que s’est-il passé ? Il semble que mon grand-père Leo a vendu tous ses tableaux et Valerius, pas un seul. Ma grand-mère était si fière de lui. Pour son père, ça a dû être un sacré coup. Les œuvres de Leo Piron se vendaient bien, sa famille pouvait vivre de son art. »

Même s’il a mené une existence calme et détachée, Leo Piron est mort soudainement. Il est décédé à 62 ans, après une rupture de l’aorte et a été enterré à Alost dans le mausolée de Valerius De Saedeleer, décédé 20 ans auparavant.

Comment Piet décrirait-il le style de son grand-père ? Il fronce les sourcils. « Ce n’est pas facile. Leo a eu deux styles. Il y a ses premières années, avec des vues villageoises presque cubistes, des paysages dans une palette de couleurs singulières, des natures mortes contemporaines. Puis ici, à Etikhove, il a commencé à travailler en plus petit et de manière plus délicate, avec des miniatures dans les paysages. Je peux passer des heures à les regarder et je vais toujours découvrir quelque chose de nouveau. Peu d’artistes ont su peindre les nuages au-dessus de nos Ardennes flamandes aussi bien que papy. »

À propos du Fonds Leo Piron

L’artiste belge Leo Piron (1899 - 1962) est principalement connu pour ses paysages rendus de manière presque miniaturiste, pour lesquels il trouvait son inspiration dans les Ardennes flamandes. Grâce à l’héritage d’une nièce de Leo Piron, le Fonds Leo Piron a été créé à la Fondation Roi Baudouin, avec une quarantaine d’œuvre de sa main. Cela concerne essentiellement des paysages et des vues panoramiques, des perspectives urbaines et quelques natures mortes. Le Fonds Leo Piron se mobilise pour la conservation et l’accessibilité au public de l’œuvre de Leo Piron et souhaite contribuer à diffuser les connaissances à son sujet.

Dans l’objectif d’un inventaire de ses œuvres en propriété privée, toute personne propriétaire d’une œuvre de Leo Piron est invitée à prendre contact avec Julie Lenaerts, lenaerts.j@mandate.kbs-frb.be de la Fondation Roi Baudouin, de manière à ce que l’on puisse établir un panorama le plus complet possible de l’œuvre de l’artiste. Les donations ou les notifications concernant les ventes d’œuvres peuvent être également adressées à la FRB.

Parcours artistique “Vanuit de heuvels langs de Schelde”

"Peu d’artistes ont su peindre les nuages au-dessus de nos Ardennes flamandes aussi bien que papy."
Piet Piron
Petit-fils de Leo Piron

Dans trois lieux iconiques, Hans Claus et Piet Piron confrontent le travail de leurs grands-pères respectifs, Lieven Colardyn et Leo Pieron, avec ceux d’artistes célèbres de leur époque et quelques artistes contemporains. La villa Art Déco Zonnekracht à Anzegem, la maison-galerie “In een glooiing van de tijd” à Nukerke et l’Ancien Hôpital de la ville d’Audenarde sont les « places to be » de ce parcours. Une vingtaine d’œuvres du Fonds Leo Piron y sont également présentées, du 24 août au 1er septembre 2024.

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