Récit

Les magistrats jettent un autre regard sur troubles psychiques

2021

Les magistrats ont régulièrement à faire à des justiciables avec des troubles psychiques. Le regard peu nuancé que la société jette sur les problèmes de santé mentale imprègne inévitablement les salles d’audience. Une formation destinées aux professionnels de la justice, organisée à l’initiative de la Fondation Roi Baudouin, vise à corriger cette image stigmatisante. Résultats à la clé.

Imprévisibles, dangereux, faibles, facilement manipulables… : les préjugés à l’égard des personnes souffrant de troubles psychiques sont tenaces. Depuis dix ans, le Fonds Julie Renson, le Fonds Reine Fabiola et la Fondation Roi Baudouin s’investissent en faveur d’une communication plus nuancée, équilibrée et déstigmatisante à propos des troubles psychiques.

Baldwin Van Gorp, de l’Institut d’études des médias de la KU Leuven, a mené une recherche visant à identifier les représentations sociales et culturelles utilisées pour parler des personnes avec des troubles psychiques sur la base d’une analyse d’un vaste échantillon de documents médiatiques (journaux, magazines, romans, films…). Cette recherche a fait apparaitre cinq ‘frames’, cinq manières stigmatisantes et discriminantes de voir les personnes avec un trouble psychique, et sept ‘counterframes’, ou cadres de pensée déproblématisants.

"Nous nous servons tous de ‘frames’ et de ‘counterframes’", dit-il. "Ce sont des moyens pour communiquer rapidement, mais ils ne contiennent chacun qu’une partie de la vérité et ils peuvent donc renforcer les clichés. Ce n’est que si nous les utilisons consciemment, en les combinant et en les alternant, qu’ils donnent une image complète et nuancée, qui reflète la complexité de celles et ceux qui vivent avec un trouble psychique. Ce qui est indispensable, car cela a une influence sur leur rétablissement et sur leur intégration dans la société."

Sensibilisation

Certaines catégories professionnelles contribuent plus que d’autres à forger cette image. Avec le soutien du Fonds Julie Renson, du Fonds Reine Fabiola et de la Fondation Roi Baudouin, des ateliers ont été organisés et des publications ont vu le jour pour donner des conseils pratiques sur la manière d’aborder les personnes souffrant de troubles psychiques ou de communiquer à leur sujet.

Les magistrats ont fait l’objet d’une attention particulière. La publication ‘Sept conseils pratiques pour mieux aborder les personnes avec un trouble psychique dans un contexte judiciaire’ s’adresse à eux. De même que trois ateliers organisés par l’Institut de Formation judiciaire, auxquels ont participé 180 membres du personnel judiciaire (magistrats, greffiers, procureurs…) en 2017, 2018 et 2019.

Durant ces ateliers, deux experts du vécu ont partagé leur témoignage. Les participants se sont ensuite penchés en petits groupes sur les ‘frames’ et les ‘counterframes’ pour apprendre à les identifier et à les appliquer. Ces formations ont porté leurs fruits, comme le montre aujourd’hui le mémoire de fin d’études de Nathalie Van Laer, dans le cadre de son master en journalisme à la KU Leuven, sous la supervision de Baldwin Van Gorp. Pour ce faire, Nathalie Van Laer s’est entretenue avec huit participants : un juge de paix, deux juges de la jeunesse, un greffier en chef, un greffier, un procureur de division, un juge de première instance et un secrétaire de division.

“Le monde juridique n’échappe pas aux préjugés qui ont cours dans la société”, commente Nathalie Van Laer. La plupart des participants qu’elle a interviewés étaient par conséquent convaincus de la nécessité et de la pertinence d’une telle formation - certains trouvaient même qu’elle devrait faire partie de la formation de base des magistrats. Ils ont surtout apprécié l’approche orientée sur la pratique et l’impact des témoignages, qui ont ouvert les yeux à plusieurs d’entre eux.

Image plus nuancée

“Même s’ils ne peuvent pas toujours pu citer d’éléments concrets qu’ils appliquent aujourd’hui, ils parlent tous d’une plus grande prise de conscience et d’un autre regard sur les personnes avec un trouble psychique,” poursuit Nathalie Van Laer. Une juge a ainsi révélé qu’auparavant, elle se sentait ‘trompée’ quand un accusé toxicomane recommençait à se droguer : elle avait le sentiment qu’il avait ‘rompu sa promesse’ avec elle. “Elle a appris à remplacer ce ‘frame’ problématisant – le manque de maîtrise de soi – par le ‘counterframe’ de ‘la longue marche’ : l’idée qu’une assuétude cache des problèmes complexes et que le parcours d’un toxicomane est fait de victoires et d’échecs.”

L’un des juges de la jeunesse interviewés voit quant à lui une amélioration de sa communication avec les jeunes durant les audiences. Il a développé une attitude moins paternaliste avec eux, a moins ‘peur’ des diagnostics de certains jeunes et peut mieux mettre des mots là-dessus. Cela lui permet de traiter les jeunes comme des interlocuteurs à part entière, avec en retour une réaction positive de leur part.

Les magistrats disent également qu’ils peuvent mieux se mettre dans la peau des personnes souffrant de troubles psychiques, même si cela n’impacte pas forcément les peines qu’ils prononcent à leur encontre. Le changement se situe surtout dans la façon de traiter les justiciables. “Ce qui est important, en tout cas, c’est d’être attentif aux termes utilisés”, dit Nathalie Van Laer. “Il vaut mieux éviter certaines formules, comme ‘ressaisissez-vous’, parce qu’elles supposent que la personne a une parfaite maîtrise de soi, ce qui n’est pas forcément le cas. Il est important de reconnaître ce que la personne a déjà essayé de faire et de faire preuve d’empathie.”

Nathalie Van Laer a été surprise de la présence de certains clichés, avant la formation, dans l’esprit de ces magistrats, souvent en contact avec des personnes psychiquement vulnérables. “Cela démontre la nécessité de développer les formations en santé mentale dans le monde judiciaire. Pour qu’elles aient encore plus d’impact, il faudrait les réitérer régulièrement”, conclut-elle.

"Les professionnels du monde judiciaire qui ont participé aux ateliers parlent d’une plus grande prise de conscience et d’un autre regard sur les personnes avec un trouble psychique."
Nathalie Van Laer
Chercheuse

Elles seront en tout cas poursuivies : le 4 décembre prochain, l’Institut de Formation judiciaire organisera le prochain atelier pour magistrats.

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