Redonner à Beyrouth son lustre d'antan

L’explosion de Beyrouth, en août 2020, a dévasté la ville, détruisant d’innombrables maisons, entreprises et infrastructures urbaines. Elle a aussi gravement endommagé le patrimoine culturel et architectural, sur lequel se concentrent les activités de restauration du partenariat transfrontalier RestART Beirut, un Fonds géré par la Fondation Roi Baudouin.

Marie Eve Didier a visité le Liban pour la première fois en 2018 et est "tombée amoureuse du pays", dit-elle. Membre du conseil d’administration d’une association européenne de promotion de l’opéra, cette ressortissante française avait emmené une délégation de jeunes passionnés d’opéra au festival de musique classique et des arts du spectacle Al Bustan, à Beyrouth.

Quelques mois plus tard, elle a réuni un groupe de personnes issues de ses deux mondes – les arts et les sciences – et a lancé une initiative pour financer les efforts d’éducation dans le pays, durement touché par la crise économique mondiale. "Depuis 2019, je n’ai pas été absente de Beyrouth pendant plus de trois ou quatre mois.”

Si la tristement célèbre explosion du 4 août 2020 dans le port de Beyrouth a choqué le monde entier, elle a donc profondément touché Marie Eve Didier sur un plan personnel. L’explosion a non seulement détruit des maisons et des entreprises au milieu d’une économie instable – sans parler de la crise du Covid-19 – mais elle a également dévasté le patrimoine culturel et architectural.

Solutions structurelles

Marie Eve Didier est la cofondatrice et la directrice générale de Matis, une société qui développe des technologies d’imagerie pour l’analyse des œuvres d’art à Neuchâtel, en Suisse. Même si elle s’est investie dans les arts de la scène, elle est en fait physicienne et restauratrice d’œuvres d’art. "Je me suis concentrée sur une approche scientifique de la restauration parce que j’ai un master à la fois en physique et en restauration d’art. Je peins aussi et j’aime comprendre les techniques artistiques, les techniques traditionnelles. Mon idée était d’essayer de combiner toutes ces passions.”

Elle est donc extrêmement bien placée pour aider Beyrouth à restaurer son patrimoine artistique endommagé. C’est là qu’entre en scène RestART Beirut, un Fonds géré par la Fondation Roi Baudouin à l’initiative de six fondateurs qui vivent dans des pays différents, mais qui partagent tous le même objectif.

“Notre mission n’est pas de reconstruire quelque chose et puis de partir", explique Marie Eve Didier. “C’est d’aider à réaliser un transfert structurel de connaissances de façon à ce que la restauration puisse être durable. Nous aidons à apporter de l’étranger l’expertise manquante, si nécessaire, et à permettre un échange académique qui peut contribuer à construire quelque chose à long terme.”

Palais Sursock

Pour Marie Eve Didier, les compétences et l’expérience nécessaires à la restauration de l’art et de l’architecture sont présentes au Liban, mais le défi est de les exploiter et de les appliquer là où elles sont nécessaires.

“Il y a d’excellents artisans et hommes de métier. Notre idée est d’essayer de faire perdurer ce savoir-faire et cette expertise", dit-elle. "Beaucoup de jeunes veulent savoir comment restaurer les stucs et les peintures, et c’est souvent un savoir qui se transmet. Vous savez, votre grand-père faisait ça et vous l’avez regardé faire. Mais qu’en est-il si vous n’avez pas de grand-père qui faisait ça ? Comment l’apprendre ? Nous essayons donc de créer un système où ils n’ont pas besoin de nous s’il y a des dégâts comme ceux-ci : ils auront une structure en place pour pouvoir s’en occuper.”

Le premier grand projet de RestART Beirut est le Palais Sursock. Construit au milieu du XIXe siècle par la riche famille d’industriels Sursock, le Palais est l’un des emblèmes les plus célèbres de Beyrouth. Toujours propriété de la famille, ce bâtiment classé abrite une collection d’art inestimable et du mobilier d’époque. RestART Beirut a convaincu des experts en restauration architecturale de se rendre à Beyrouth pour évaluer les dégâts. Le Fonds a aussi mis sur pied des échanges universitaires, des ateliers et un programme de bourses afin d’impliquer des étudiants dans la restauration.

L’explosion a fait d’énormes trous dans le toit, a brisé les fenêtres – dont les éclats ont déchiré des peintures – et a fortement endommagé les éléments en marbre et en stuc, à l’intérieur et à l’extérieur du bâtiment. Des œuvres d’art et des éléments d’architecture intérieure se sont écroulés et des meubles ont été endommagés ou détruits après avoir été projetés dans les pièces.

Sens dessus dessous

“Tout est sens dessus dessous”, dit Marie Eve Didier. "De l’extérieur, c’est plus difficile à voir, et donc les gens ne se rendent pas vraiment compte de la gravité de la situation. Mais quand on regarde les détails, c’est un désastre. Les éléments architecturaux datent de l’Empire ottoman et ils sont tous endommagés. Où que l’on regarde, rien n’a été épargné”.

Le travail de RestART Beyrouth se concentre à présent sur le Palais et diverses améliorations ont déjà été apportées grâce à la coopération entre évaluateurs et restaurateurs européens et libanais. Plusieurs étudiants suisses en restauration ont passé six semaines à Beyrouth l’année dernière, dans le cadre de cours d’été, travaillant avec des étudiants locaux à la restauration d’éléments en stuc.

RestART Beirut a également mis sur pied un partenariat entre l’Unesco et l’Office fédéral suisse de la Culture pour restaurer et stabiliser toute la façade nord du palais Sursock. Europa Nostra a annoncé qu’il accordait son haut patronage à RestART Beirut.

Le travail de RestART Beirut est financé par l’ambassade de Suisse à Beyrouth et par des subventions publiques. Le Fonds a également reçu des dons privés d’Europe et des États-Unis.