Revisiter l’histoire du Congo pour construire son avenir
Le professeur Elikia M’Bokolo a dirigé les études réalisées par l’UNESCO sur l’utilisation pédagogique des manuels d’histoire générale de l’Afrique. Cet historien congolais est l’instigateur du programme « Bokundoli » focalisé sur la RD Congo, une collaboration notamment de l’organisation congolaise IIP (Investing In People) et de l’ONG belge CEC (Coopération Éducation Culture). Le programme pilote mis en place doit permettre à l’enseignement congolais de renouveler sa manière d’éduquer les jeunes congolais à la citoyenneté et à la conscience historique de leur Etat. Il a reçu le soutien financier de la DGD (Coopération belge au développement), de WBI (Wallonie-Bruxelles International) et de la Fondation Roi Baudouin. Entretien.
« Votre tâche consiste à revisiter l’histoire du Congo, en permettant ainsi aux jeunes Congolais de se la réapproprier, à l’écart de celle écrite par les colonisateurs, parmi lesquels les Belges furent des acteurs majeurs. Cette histoire a-t-elle été escamotée par les historiens européens ?»
« Ce n’était pas une volonté explicite de leur part. Mais la colonisation a été fondée sur des convictions qui ne reposaient pas sur la réalité vécue par les gens qui l’ont subie. Elle a pourtant été considérée comme une des pages les plus fécondes de l’histoire du Congo. Mais les Congolais n’en étaient pas les acteurs mais les victimes. Entre la fin du XVème et le début du XVIIIème, contrairement à l’Ouest de l’Afrique, la première colonisation y a échoué. Si les élites politiques du Royaume du Congo se sont d’abord montrées favorables à des ouvertures avec les Européens, la traite des esclaves fera tout capoter : elles ont alors décidé de fermer leurs portes aux Européens. »
« Une fois déportés en esclavage en Amérique, ces citoyens congolais y sont devenus des résistants à la colonisation. Au Brésil, le mouvement de résistance le plus important a été porté par des esclaves déportés du Congo. A Cuba et aux Caraïbes, les esclaves déportés du Congo se sont mêlés aux rébellions. L’entrée au Congo allait donc devenir, pour les Européens, synonyme de violence. Pour mater ce pays et l’exploiter, il n’y avait pas d’autre choix. D’ailleurs, les 25 premières années de la colonisation au Congo ont été les plus violentes de l’histoire coloniale du continent africain, de 1880 jusqu’à à la fin du régime léopoldiste. Les colonisateurs ont alors institué un régime fondé sur la peur et la haine du Blanc. »
« A la moindre occasion, on mettra tous les Blancs à la flotte »
« Les révoltes, ont toujours été d’une extrême violence au Congo, dans le chef des indigènes comme des forces de l’ordre. Dans les années ’20, les journalistes rapportaient les propos des Congolais qui leur disaient : « A la moindre occasion, on mettra tous les Blancs à la flotte. » Il ne faut pourtant pas faire de la colonisation – qui s’étale sur moins d’un siècle – le moment essentiel et fondateur du Congo. Il y a eu une autonomie de ses sociétés que la colonisation, pas plus que les régimes qui lui ont succédé, ne sont jamais parvenus à mater. Cette forme de désobéissance, de refus radical de soumission est l’une des particularités majeures des sociétés rurales du Congo. »
C’est un des messages que vous voulez faire passer aux jeunes Congolais ?
Oui. Nous leur disons : « Nous n’avons pas été des « choses » aux mains des colonisateurs ». Leur véritable histoire œuvrera à leur émancipation, leur permettra de comprendre que leurs ancêtres en ont été acteurs. Et que la citoyenneté dans un Etat indépendant ne consiste pas à jouir de la liberté, c’est de construire le vivre-ensemble.
Les cours prodigués aujourd’hui sont le fruit d’une grande ambiguïté : les gens se sont appropriés et répètent le discours colonial. Il faut inverser le discours pour dire aux jeunes que le Congo, de très bonne heure, dans les années 1480, s’insère dans la mondialisation, pas seulement comme victime mais aussi comme acteur.
Le Congo a connu des élections démocratiques mais depuis l’ère Mobutu, le pouvoir a souvent corrompu ces dirigeants….
Ceux qui prennent le pouvoir se considèrent au-dessus des lois et de la société. Ils se sont appropriés, la posture de l’Etat colonial, à savoir : « On est là pour s’en mettre plein les poches et plein la bedaine. Et, vous, les citoyens, débrouillez-vous, mangez-vous. »
« Dieu nous a-t-il maudit ? »
Face à cette attitude, le citoyen se sent désarmé. Chez nous, un proverbe dit : « Si l’eau est empoisonnée, tout ce que vous y jetterez le sera aussi. » Ceux qui entrent en politique et constatent que 90% des gens qui les entourent détournent des fonds publics, réalisent qu’ils seraient stupides de ne pas faire de même. Ce que nous essayons de démontrer, c’est que l’état dans lequel nous sommes n’est pas un état naturel. EN RDC, ces questions reviennent souvent : « Dieu nous a-t-il maudit ? »
Pourtant, notre Histoire montre que nombre de nos sociétés se sont organisées. Les Congolais ont démontré leur savoir-faire. Note système de transmission de savoirs, malgré les traites d’esclaves, a permis de faire survivre nos sociétés.
Cette forme d’éducation à l’Histoire a aussi pour objectif de rendre nos jeunes meilleurs tout en vivant mieux, dans des valeurs humaines et citoyennes qui existent dans nos sociétés. Le cours d’histoire, ce n’est pas la mémoire des dates, c’est la faculté de comprendre pourquoi une société est passée d’un état à un autre et de faire en sorte que l’état de prospérité se perpétue. C’est aussi développer l’esprit critique. J’espère que c’est le début d’un processus d’évolution de notre société. »
Dominique Gillerot, administratrice-déléguée de CEC précise l’approche pédagogique du projet-pilote : «Elle comprend une application numérique. CEC et IPP travaillent avec les enseignants congolais, très intéressés et demandeurs d’une formation. L’application intègre des illustrations, des séquences radiophoniques et audio-visuelles, des cartes géographiques. Un travail important a aussi été mené avec nombre d’artistes congolais qui puisent leur inspiration dans l’histoire de leur pays. »
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