Trois formes de tremplin vers l’emploi pour les femmes issues de l’immigration
Trempoline : l’appel à projets lancé en 2021 par la Fondation Roi Baudouin porte bien son nom. Il vise en effet à servir de tremplin vers l’emploi pour des femmes issues de l’immigration. Très souvent, elles rencontrent des difficultés d’insertion socioprofessionnelle alors qu’elles ont un véritable potentiel. Comment les aider à sortir de l’isolement, élargir leur réseau social et augmenter leurs chances de trouver un emploi rémunéré, en passant éventuellement par une formation ou le volontariat ? Trois projets sélectionnés dans le cadre de cet appel explorent des pistes de solutions innovantes et inspirantes.
Un multilinguisme à reconnaître
L’asbl Vluchtelingenwerk Vlaanderen, à Saint-Josse-ten-Noode, valorise le multilinguisme de femmes migrantes qui ont une bonne connaissance du néerlandais ou du français, en plus de leur langue maternelle. “Beaucoup d’entre elles servent d’interprètes dans des écoles, des centres d’asile, des hôpitaux… mais elles le font de manière informelle, sans formation ni reconnaissance officielle”, explique Veronique De Clercq, coordinatrice de l’asbl. “Notre projet consiste à leur donner une formation, mais aussi une visibilité, tout en élargissant leur réseau social. Elles peuvent ainsi traduire des entretiens simples et décharger les interprètes sociaux, souvent débordés, qui peuvent alors se consacrer à des missions plus complexes”.
Pour Souad, Zehra et Barbara, respectivement interprètes néerlandais/arabe, néerlandais/turc et néerlandais/espagnol, c’est surtout en termes de méthodologie que la formation est utile. “Avant, nous avions tendance à ne pas traduire certaines choses, si on les jugeait trop délicates, ou à rajouter certaines informations qui nous semblaient utiles. Bref, on s’impliquait dans la conversation alors qu’un interprète doit être neutre et ne jamais donner son avis personnel ou trahir ses émotions. Aujourd’hui, nous travaillons de manière plus professionnelle”.
Pour l’instant, toutes trois travaillent bénévolement et ne perçoivent qu’une petite indemnité de volontariat et un remboursement de leurs frais de déplacement. “Mais plusieurs d’entre elles ont pris conscience de leurs compétences et aimeraient suivre une formation d’interprètes sociales”, précise Veronique De Clercq. “Et notre but ultime est de convaincre les autorités de créer dans les écoles une fonction d’assistant à l’accueil, qui leur donnerait un statut et un emploi à part entière”.
S’orienter dans la société belge
À Louvain-la-Neuve, le Collectif des Femmes propose non seulement un parcours de formation à des femmes issues de l’immigration non-européenne, mais aussi un accompagnement social et un suivi individuel. “Notre formation de six mois comprend des cours de français et d’informatique, afin de renforcer les compétences des participantes”, déclare Cathy Degreef, responsable du projet. “Mais à côté de cela, il y a aussi tout un travail d’accompagnement, assuré par une femme migrante qui a elle-même suivi tout le processus d’intégration et qui met son expérience au service d’autres femmes pour les aider à régler des questions de logement, d’enseignement, de santé… Si ces problèmes de base ne sont pas résolus, il est difficile de se projeter dans un projet professionnel”.
L’autre originalité du Collectif est de mettre sur pied des duos comprenant chaque fois une femme migrante et un citoyen ou une citoyenne belge bénévole qui l’aide à s’orienter dans notre société. Et surtout, à définir un objectif professionnel et à trouver une formation qualifiante ou un emploi adapté à cet objectif : où trouver des formations dans ce domaine, comment s’inscrire, comment rédiger un CV et se présenter à un employeur ? Aujourd’hui, plusieurs bénéficiaires ont ainsi pu trouver le chemin vers un emploi ou une formation.
C’est le cas de Monique, réfugiée camerounaise : “Quand je suis arrivée ici, je ne connaissais rien, ni personne, j’étais désemparée. Heureusement, j’ai trouvé dans le Collectif des Femmes comme une famille qui m’a aidée pour un tas de choses : préparer l’entretien pour ma demande d’asile, suivre des cours théoriques pour le permis de conduire, trouver une psychologue avec qui j’ai pu parler du traumatisme que j’avais vécu… Grâce à la formation et au suivi individuel, un projet d’insertion professionnelle s’est peu à peu formé et j’ai décidé de suivre une formation en cuisine”. Khadidja, elle, s’est découvert un intérêt pour l’informatique : “Je me suis inscrite à une formation spécialisée, mais elle était complète et je dois attendre janvier 2023 pour commencer à la suivre. Entre-temps, il faut que je règle la question de l’équivalence de mon diplôme. Là aussi, le Collectif et mon accompagnateur bénévole m’aident dans les démarches administratives à effectuer”.
Un mentor qui guide et qui conseille
Constituer des duos entre ‘mentors’ (accompagnants) et ‘mentees’ (accompagnés), c’est aussi le concept de l’association Duo for a Job. “Les mentors sont des professionnels expérimentés, souvent retraités ou en fin de carrière, qui acceptent de mettre leurs connaissances et leur expertise au service de jeunes de 18 à 33 ans, issus de l’immigration non européenne, pour les aider à développer un projet de carrière et étendre leur réseau. En une dizaines d’années, plus de 5.000 jeunes ont ainsi pu bénéficier d’un accompagnement personnalisé dans plusieurs villes belges”, indique Christa Ndikumana, coordinatrice de l’initiative.
Le projet Pluri’Elles, soutenu dans le cadre l’appel Trampoline, vise à appliquer ce concept en ciblant spécifiquement un public de jeunes femmes vulnérables issues de l’immigration. Dana est l’une d’elles. Elle ne tarit pas d’éloges sur la plus-value de cet accompagnement. “Au départ, j’avais déjà une idée précise de ce que je voulais faire : travailler sur les droits des enfants et la parentalité positive, en particulier avec des familles précarisées”, raconte-t-elle. “Ce qui est génial, c’est que j’ai pu être mise en contact avec une mentor qui était issue de ce secteur et qui me donne de précieux conseils pour affiner mon projet, par exemple, en lui donnant une direction plus claire, en réalisant une analyse de l’environnement et en étant attentive à la qualité de la communication”.
Le climat de confiance et de soutien qui s’instaure avec le mentor est aussi un élément que Dana apprécie beaucoup : “Quand on est jeune et qu’on manque d’expérience, on a forcément des doutes, des questions… Je peux en parler très ouvertement avec ma mentor, je me sens écoutée, guidée et encouragée. Sinon, j’aurais dû essayer de trouver les réponses toute seule !”
Le mentor dispose aussi d’un réseau social et professionnel dont il peut faire bénéficier le mentee. “Cela répond également à un grand besoin des jeunes”, souligne Christa Ndikumana. La formule a en tout cas démontré son efficacité. Des liens d’amitié se créent et beaucoup de duos restent en contact même après la fin de la période de six mois d’accompagnement intensif. Et les chiffres sont là : plus de 7 jeunes bénéficiaires sur 10 ont trouvé un emploi, un stage ou une formation dans l’année qui a suivi leur participation à Duo for a Job.
À propos de l’appel à projets ‘Trempoline’
Mai 2021, la Fondation Roi Baudouin lançait l’appel à projets ‘Trempoline’ dans le but d’améliorer la situation socio-économique des femmes issues de l'immigration. Douze initiatives innovantes qui s’appuient sur le potentiel de ces femmes, les accompagnent et élargissent leur réseau afin d’augmenter leurs chances de trouver un emploi rémunéré, ont reçu un soutien total de 300.000 euros. L’asbl Vluchtelingenwerk Vlaanderen, le Collectif des Femmes et Duo for a Job figurent parmi les organisations sélectionnées. Un nouvel appel est lancé fin janvier 2023.