Récit

Le virus n’ébranle pas une maison de repos qui a une vision de qualité

2021

La force du concept Tubbe à l’ère du coronavirus

“Nous ne nous reconnaissons pas dans l’image des maisons de repos donnée dans les médias”. Comment les maisons de repos et de soins qui adoptent l’approche Tubbe gèrent-elles la présence du coronavirus ? Leur vision de relations chaleureuses et participatives résiste-t-elle à cette crise sanitaire ? Oui, grâce à un leadership empreint d’une vision, de créativité et d’une communication forte, le virus ne prend pas le dessus dans ces maisons de repos : la direction, le personnel et les résidents restent les maîtres du jeu.

Depuis plusieurs années, la Fondation Roi Baudouin investit dans la diffusion de l’approche Tubbe dans les maisons de repos et de soins (MRS). Après avoir découvert ce concept en Suède, la Fondation a mis sur pied un projet pilote avec six maisons de repos en Belgique. À la suite d’une évaluation positive de cette expérience, elle accompagnera bientôt, avec l’aide de coachs, 80 MRS qui implémenteront le modèle Tubbe.

Récit d’une discussion virtuelle (fin août 2020) qui a rassemblé des responsables de quelques-uns des six projets pilotes, les dirigeants de la maison de repos suédoise et quelques coachs.

À l’arrêt

"Nous avons encore davantage mis l’accent sur les contacts entre les résidents et avec les soignants."
Dirigeants de maisons de repos

“Le début a été angoissant et chaotique”, affirme d’emblée la Suédoise Lilian Hansson. “Les résidents et les membres du personnel avaient peur. Comment devions-nous réorganiser nos habitudes ? Les pouvoirs publics ne cessaient de nous envoyer de nouvelles directives. Il a fallu quelques semaines pour retrouver un certain apaisement”, admet-elle. Des propos dans lesquels d’autres se reconnaissent parfairement. “Chez nous aussi, il y avait beaucoup de peur”, raconte Renaat Lemey, directeur de la MRS Open Kring à Ardooie. “Les premières semaines, beaucoup de choses ont été mises à l’arrêt : plus de visiteurs, plus de sorties, plus de grandes activités… Mais vers mai-juin, notre état d’esprit a changé : on sécurise tout, mais la vie continue”.

Leen Plessers, coordinatrice à la MRS Sint-Jozef à Pelt, ajoute :“C’est exact, il a bien sûr fallu supprimer les grandes activités. Mais d’un autre côté, nous avons été très proches des résidents durant ces premières semaines. Nous avons encore davantage mis l’accent sur les contacts entre les résidents et avec les soignants. Dans un certain sens, cela a aussi été une période chaleureuse”.

Pas l’impression de sombrer

Jusqu’ici, ces deux maisons de repos n’ont pas été confrontées à des contaminations, contrairement à ma MRS Floordam à Melsbroek, où vivent 150 résidents dans onze habitations séparées. Ruben Callewaert : “Nous avons isolé les personnes malades dans une maison. Cela ressemblait à un hôpital, avec toutes les règles de sécurité – qui changeaient souvent. Cela a été une période très dure, mais nous n’avons pas eu l’impression de sombrer. Nous avons continué à fournir des soins de qualité et la vie pouvait se poursuivre dans les autres maisons. Sans visiteurs, mais cela nous donnait aussi du temps pour plus de contacts individuels. Après huit semaines environ, plus personne n’était contaminé et nous avons pu reprendre un fonctionnement normal”.

Leadership et vision

Entretenir le jardin ou s’occuper des fleurs ensemble, papoter au soleil en sirotant un café, organiser une petite sortie en tandem ou un concert de musique dans le jardin, faire venir un glacier ou une friterie ambulante, prendre des photos imitant des tableaux ou de vieilles photos de mode... Il suffit d’un peu de créativité pour rendre les choses vivantes.

En tant que coach/conseillère de directions de MRS, Mieke Vandorpe suit de près toutes les informations. “Pour moi, la différence tient surtout à un leadership doté d’une vision : là où le travail s’inspire d’une vie de qualité – qu’il s’agisse de la vision Tubbe ou d’une autre – on continue à rechercher ce qui est possible. On ne reste pas désemparé face à ce qui arrive ou figé par la peur. J’ai lu une belle métaphore : c’est au port qu’un bateau est le plus en sécurité, mais ce n’est pas pour y rester qu’il a été construit”.

“La direction doit contenir cette peur et donner d’abord aux gens un sentiment de sécurité”, dit Sara Johansson, en Suède. “Prendre le temps d’écouter les résidents et les collaborateurs, bien les informer. Depuis que le calme est revenu, il s’agit surtout chez nous de lutter contre la solitude par des contacts plus individuels et des activités en plus petits groupes”.

Concertation

Le principe clé du modèle Tubbe est la concertation et la co-création : gérer ensemble l’établissement. À cause de la nécessité d’instaurer rapidement de nouvelles règles, il a parfois fallu y déroger, même si les collaborateurs ont eu la maîtrise des adaptations. Ruben Callewaert donne un exemple : “Dans la première phase, les résidents devaient même rester dans leur chambre pour manger. Nous avons remarqué que les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer souffraient de ne pas voir d’autres personnes manger aussi autour d’elles. Les collègues ont trouvé une solution : ils ont placé ces résidents dans l’embrasure de leur porte, où chacun pouvait voir son voisin d’en face. Cela a fait une différence et cela a été repris dans d’autres groupes d’habitation”.

Malgré un cadre rigoureux, il reste donc possible d’écouter les résidents, estime Leen Plessers : “Nous avions depuis longtemps déjà un groupe de travail de résidents sur la qualité. Durant cette crise, il s’est encore réuni plus souvent que d’habitude pour examiner comment appliquer les règles en pratique.” “Nous le faisons aussi, par exemple au sujet des modalités de visite”, ajoute Renaat Lemey. "Des membres de certaines familles nous aident également en tant que bénévoles, pour accompagner les gens, décontaminer les surfaces…".

Communication

Les visites ont remplacé le menu comme principal sujet de discussion. Les contacts avec la famille sont essentiels pour pouvoir parler d’une bonne qualité de vie. “Dans le groupe de travail de résidents, cela a donné lieu à des moments très émotionnels”, raconte Leen Plessers. “Ne pouvoir voir qu’un seul membre de la famille, cela allait trop loin”. Tout le monde recherche l’équilibre entre bien-être psychique et sécurité, et s’efforce de parvenir à des règles auxquelles adhèrent aussi bien les résidents que le personnel, les médecins traitants et la famille.

Et on y arrive, mais au prix de sévères restrictions. On peut en partie compenser cela en intensifiant la communication. “Les familles veulent être rassurées. Elles veulent savoir comment ça va, ce qui se passe à l’intérieur de nos murs”, dit Ruben Callewaert. “Nous avons beaucoup communiqué durant cette période, tant sur les choses positives que sur les contaminations”.

Les réseaux sociaux, les sites internet et les lettres d’information sont régulièrement alimentés. Mais le papier n’est pas dépassé et les journaux de résidents sont illustrés de davantage de photos, maintenant que les différents départements doivent chacun rester dans leur ‘bulle’.

À petite échelle

Ces experts du vécu sont convaincus de l’utilité d’une approche à petite échelle, pour laquelle on a souvent plaidé durant cette crise sanitaire. Non seulement pour l’atmosphère familiale, mais aussi pour la sécurité. “Si nous étions un home avec de longs couloirs, nous aurions certainement eu plus de cas de contaminations”, affirme Ruben Callewaert. Une collaboration avec un hygiéniste d’un hôpital des environs a en outre pu éviter une médicalisation trop forte de la MRS.

D’un autre côté, une certaine échelle est aussi nécessaire pour acquérir des connaissances. Diviser une maison de repos et de soins en groupes de vie relativement autonomes, où les connaissances sont partagées, semble être un bon compromis. “Car il faut avant tout qu’elle reste une maison !”.

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