Les nouveaux seniors ne veulent pas entrer en maison de repos.
Pour que les personnes âgées puissent faire leur choix parmi des lieux de vie et de soins très divers.
Cette carte blanche est publiée à l’initiative du Comité d’avis Personnes Âgées de la Fondation Roi Baudouin. Elle fait l’objet d’une publication dans Le Soir et de Standaard le 26 septembre 2022. La FRB publie en outre la brochure ‘Tout le monde a le droit de choisir. Les personnes âgées aussi.’, afin d’attirer l’attention sur la problématique des lieux de vie et de soins qui laissent aux personnes âgées la possibilité de choisir.
Lâchez l’expression ‘maison de repos et de soins’ (MR/MRS) devant des seniors actuels ou futurs, et ils la rejetteront sans hésiter. Jamais, nooit, never, dans toutes les langues!
C’est étonnant… et pourtant pas tant que ça.
Étonnant, parce que la qualité des maisons de repos et de soins s’est progressivement améliorée au cours des dernières décennies: des sommes importantes ont été investies dans de nouveaux bâtiments; la professionnalisation s’est accrue; la place disponible pour les résidents, les équipements, les espaces collectifs, les effectifs du personnel etc. ont augmenté; il existe une permanence téléphonique pour les plaintes, les exigences de qualité de l’inspection ont été renforcées, les subventions aux MR/MRS ont grimpé; beaucoup de centres travaillent déjà avec des départements plus réduits. Tout cela est incontestable. Et, dans ce domaine, nous faisons souvent mieux que d’autres pays.
Mais les nouvelles générations de seniors ne sont pas d’accord. Et c’est moins étonnant qu’il n’y paraît.
Pour pouvoir répondre aux exigences de qualité des pouvoirs publics, les maisons de repos et de soins se sont agrandies, et ce n’est pas sans conséquence: dans la conception de la vie de tous les jours, les nécessités de l’organisation jouent un rôle plus important que les souhaits de l’individu. Pour les nouvelles générations, c’est l’élément le plus choquant: après toute une vie à pouvoir choisir le moindre petit détail elles se retrouvent brusquement démunies. Aussitôt que vous n’êtes plus considéré.e comme capable de vivre de manière indépendante – décision régulièrement prise à votre place – tous les choix vous sont imposés. Vous vous retrouvez avec d’autres personnes que vous n’avez pas choisies et qui ne vous ont pas choisi.e non plus. Le choix, pour vous, c’est fini. D’autant que ces établissements ont de plus en plus de mal à trouver du personnel, ce qui signifie que votre rythme de vie sera de plus en plus déterminé par les exigences de l’organisation.
Par ailleurs, la crise du covid a démontré la fragilité des formules de logement réunissant un grand nombre de personnes âgées dépendantes (bien qu’à l’époque, l’isolement des personnes âgées vivant seules n’ait pas été négligeable non plus).
Certaines directions de maisons de repos et de soins balaient d’un revers de main le rejet quasi universel émis par les nouvelles générations de personnes âgées en affirmant que ‘ça leur passera quand le moment sera venu’. N’y comptons pas trop.
En parlant de comptes, imaginez que ces nouvelles générations optent en masse pour les MR/MRS: le budget ne tarderait pas à dérailler! Même si, dans un proche avenir, un pourcentage équivalent des nouveaux seniors faisaient appel aux formules d’hébergement collectif actuelles, les 16.641 places disponibles dans les MR/MRS bruxelloises et les 70.207 MR/MRS wallonnes devraient être considérablement augmentées. Le nombre des plus de 85 ans devrait en effet doubler d’ici 2050, et celui des personnes présentant des difficultés cognitives s’accroître de plus de 40 pourcents d’ici 2035.
Le Comité d’Avis Personnes Âgées de la Fondation Roi Baudouin (FRB) s’est penché sur la question. Faire en sorte que les personnes âgées puissent faire leurs propres choix, telle est sa devise. Les maisons de repos et de soins seront toujours nécessaires, mais il est indispensable de proposer aux personnes âgées une gamme de lieux de vie et de soins qui leur apportent le soutien et les soins correspondant à leurs besoins et à leurs demandes, mais pas davantage. Les seniors doivent pouvoir faire leurs propres choix et, plus important encore, les gérer eux-mêmes.
Les autorités centrales et locales et les initiateurs doivent s’attacher à rendre ces choix possibles – choix qui s’avéreront, à la longue, moins coûteux et moins gourmands en main-d’œuvre que les formules actuelles.
Rester chez soi le plus longtemps possible, c’est le souhait unanime des jeunes seniors. Mais, au-delà, l’unanimité explose, car chaque personne âgée veut faire ses propres choix: continuer à vivre seule, habiter chez ses enfants ou des membres de sa famille, vivre avec d’autres seniors (ou au contraire éviter ce type de cohabitation), choisir et combiner diverses formes de soins et d’accompagnement (aidants proches, professionnels, numérique), si nécessaire après adaptation de son logement ou déménagement dans un autre; habitat kangourou, tiny houses, coloc, tout est possible. Dans certaines circonstances, les MR/MRS sont la solution la plus souhaitable pour certaines personnes. Ces choix, ça ne fait aucun doute, vont évoluer au cours de la vie des individus.
Tout le monde ne dispose pas des mêmes ressources, et l’appel à l’équité ne faiblira pas, ce qui rend la situation encore plus complexe.
Alors, de quoi avons-nous besoin? De réseaux d’aides et de soins de proximité, combinant l’aide apportée par les aidants proches et les soins professionnels avec une assistance numérique. Et de logements (y compris sociaux) adaptés, qui combattent la solitude et soient proches des prestataires d’aides et de soins et des services proposés. Cette évolution suppose une adaptation de notre aménagement du territoire et de nos villes et villages. À cette fin, il faut avant tout que les autorités centrales et locales et les initiateurs suivent la même ligne directrice: permettre aux personnes âgées de faire des choix, malgré le manque de ressources et de main-d’oeuvre. En sachant que les nouveaux seniors privilégient quatre valeurs:
- Autonomie: pouvoir prendre leurs propres décisions
- Participation: codéterminer le fonctionnement de leur environnement
- Relation : vivre en relation avec d’autres, et pas seulement avec des personnes aussi âgées et dépendantes qu’eux
- Et avoir la possibilité de concrétiser leurs aspirations. De passer de la parole aux actes!
Ces quatre valeurs sont déjà largement partagées. Dans les MR/MRS, des mouvements s’amorcent pour tenter de les réaliser. Ainsi, une centaine d’entre elles ont adopté l’approche Tubbe, originaire de Scandinavie, qui part des choix et des aspirations des habitants et a la participation comme moteur.
Face au vieillissement de la population et aux aspirations des nouvelles générations de personnes âgées, la plupart des pays voisins sont engagés dans des exercices de réflexion comparables. En France, par exemple, l’EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) de demain apparaît comme ‘un lieu de vie où l’on soigne et non un lieu de soins où l’on vit’ , l’accompagnement individualisé de chaque résident impliquant notamment le droit à l’intimité et à la liberté. Aux Pays-Bas, le programme ‘Lieu de vie, accompagnement et soins des personnes âgées’ est basé sur trois principes directeurs: soi-même si possible, à la maison si possible, grâce au numérique si possible.
À ce sujet, la note du Comité d’Avis Personnes Âgées de la FRB recommande une réflexion approfondie. Ce n’est pas une question technique. Il ne suffit pas de trouver un nouveau ‘modèle’. Un changement systémique s’impose. Les seniors veulent choisir. Et ils choisiront. Pour peu que nous procédions avec intelligence, nous pourrons réaliser cet objectif de manière équitable, avec des ressources humaines et financières gérables. En tablant sur le soutien des décideurs, aux niveaux central et local, des initiateurs, de la société civile et de l’ensemble de la population.
Anne-Marie Balthasart, membre du Comité d’avis Personnes Âgées à la Fondation Roi Baudouin, Présidente, CAS, Coordination des Associations de Seniors
Anja Declercq, Présidente du Comité d’Avis Personnes Âgées à la Fondation Roi Baudouin, Professeur, Lucas, KU Leuven